ials : En quoi l'utilisation de l'IA dans la création de formations professionnelles transforme-t-elle l'approche traditionnelle de la formation ? Comment l'IA contribue-t-elle à personnaliser et à optimiser l'expérience d'apprentissage pour les individus ?
Céline Baleydier-Delhomme : D’après mon expérience, l’IA générative transforme l’approche de la formation sur 3 niveaux, à commencer par la création des formations. En tant qu’indépendante et formatrice professionnelle, je suis la plupart du temps seule lors de la création de mes formations. Ce qu’on appelle la découverte client m’aide bien évidemment à cerner les attentes et objectifs de formation mais la partie création se fait en solo. Le développement de l’IA générative, ChatGPT et certaines plateformes dédiées m’apportent ce ping-pong créatif dont j’ai besoin. Il me propose de nombreuses pistes
à explorer, il peut même mettre mon cerveau en ébullition. À ce moment je prends un temps de « digestion de l’information » et peux définir en confiance mes objectifs péda-gogiques. Il ne m’apporte pas l’expertise mais m’aide à déceler mes angles morts.
Lorsque mes objectifs pédagogiques ainsi que mon déroulé sont déjà définis, ChatGPT peut être utile cette fois pour me faire gagner du temps. À partir de mon déroulé, je lui demande de me générer des activités pédagogiques précises. Je lui fournis un contexte et des contraintes à partir desquels il me propose des activités. Je peux ensuite les personnaliser et les intégrer directement au contenu de ma formation. Par exemple il peut générer des mises en situation pour améliorer sa « communication constructive ».
J’apporte la méthode et la machine me propose les mises en situation.
Que ce soit pour favoriser ma réflexion ou me faire gagner du temps, c’est une coopération qui prend forme entre la machine et moi. Cette coopération peut se poursuivre et s’étendre avec les apprenants lors de la formation. L’expérience de l’apprentissage peut être enrichie par l’IA Generative et nous ne sommes qu’au début de la découverte. Prenons le cas de la formation à distance. En tant que formatrice, l’animation à distance représente un
défi à plusieurs niveaux. Parvenir à créer un espace bienveillant entre chaque personne, fixer un cadre favorable à l’intelligence collective ou encore maintenir leur attention avec un écran entre nous. Soyons clair, l’arrivée de l’IA générative ne nous rend pas compétents. L’animation de formation à distance nécessite des compétences et de la pratique. En revanche, elle peut nous aider à relever ces défis de plusieurs manières. Si on sort des IA générative généralistes, je peux par exemple parler de Nolej. J’ai découvert cette plateforme lors du salon EducaTech en novembre dernier. Nolej accompagne les formateurs à dynamiser leur animation. À partir d’un contenu video ou podcast, la machine génère du contenu interactif que le formateur peut s’approprier et déployer tout au long de son animation.
De manière générale, je dirais que l’IA Generative a moins sa place dans l’animation puisque c’est la force première d’un humain d’interagir, créer des connexions et apporter de la connaissances de manière active. C’est en tout cas valable en 2023.
Pour finir, la formation professionnelle implique l’évaluation de fin de formation. Celle-ci peut prendre de multiples formes et l’IA Generative y a toute sa place. À partir d’un contenu, la machine peut par exemple créer un quizz en quelques secondes.

ials : Quels sont les principaux défis associés à l'intégration de l'IA dans les programmes de formation professionnelle, et comment votre rôle en tant que formatrice consultante aide-t-il à surmonter ces obstacles ?
C. B.-D. : Au risque de ne pas être originale, je dirais que le défi est principalement d’ordre éthique. Si en une phrase du type : « agis comme un formateur expert en ingénierie pédagogique. Il reçoit 6 managers débutants pour une formation de 2 jours. Propose-moi 5 objectifs pédagogiques pour cette formation », chaque détenteur d’un compte OpenAI est en capacité de créer un parcours de formation, on peut en conclure que chacune de ces personnes peut se prétendre expert.
Alors comment s’assurer de la réelle expertise de ce formateur ? Comment s’assurer qu’en tant que client je ne vais pas payer pour du vent ?
Comment m’assurer de l’apprentissage de mes collaborateurs ? Toutes ces questions sont légitimes et incontournables si on veut préserver la qualité de l’apprentissage et in fine le savoir.
L’IA peut représenter une opportunité pour les formateurs et ingénieurs pédagogiques. Elle peut les aider à aller plus loin dans leur réflexion, à gagner du temps et à diversifier leur intervention. En aucun cas, elle peut les remplacer.
L’humain fait à lui seul toute la différence. Si vous souhaitez vous former ou former vos collaborateurs, ne vous arrêtez pas à une brochure ou un programme de formation. Prenez le temps d’échanger avec la personne en charge de cette formation, de la questionner sur ses méthodes et sa vision de l’apprentissage. Et si le secret se résumait simplement en un mot : relationnel ?

ials : Selon vous, comment l'évolution des technologies d'IA influencera-t-elle l'avenir de la formation professionnelle ? Voyez-vous des tendances émergentes ou des innovations particulières qui pourraient révolutionner la manière dont nous apprenons et nous formons dans les années à venir ?
C. B.-D. : Impossible de dire que l’IA Generative et les technologies qui en découlent n’influenceront pas la formation professionnelle dans les années à venir. Un expert IA serait certainement plus à même que moi d’exposer ces nouvelles technologies.
À mon niveau d’expérimentation, voici trois perceptions que je peux avoir sur le sujet :
La diversité pourra être privilégiée. Imaginez un monde sans barrière de la langue, un monde sans frontière physique. Bienvenue dans la formation à distance assistée par IA. Je fais partie des personnes convaincues des bienfaits de la diversité. Animer une formation de management participatif ou de gestion du stress avec des personnes de racines, langues et cultures différentes permettraient une ouverture d’esprit incomparable. Chaque participant pourrait apprendre des pratiques de l’autre en cassant le côté formatant d’une culture ou d’une catégorie socio professionnelle. Cela permettrait également la découverte de la différence dans un cadre sécurisé et bienveillant.
Paradoxalement, l’utilisation de la machine peut, si on n’y prête pas attention, nous éloigner de l’humain. Les avancées technologiques peuvent nous en mettre plein les yeux, jusqu’à parfois en perdre de vue l’essentiel : l’apprentissage. Pour moi il passe avant tout par l’échange et le lien que l’on crée durant le temps de formation.
Comment ne pas aborder, pour clôturer, le sujet de la confidentialité ? À ce jour, on ne sait pas où, ni comment sont traitées nos données. Les hackers font de ChatGPT leur terrain de jeu alors comment s’assurer de la confidentialité des données pour les technologies à venir ? En tant que formatrice, j’ai la responsabilité de mon groupe d’apprenants durant un temps donné. La confidentialité fait partie des règles du jeu que je pose en début de session. C’est ce qui, j’en suis convaincue, contribue à la qualité d’une formation. Si demain j’utilise une IA Generative durant ces sessions, je ronds cet engagement et prends le risque qu’un participant soit piraté à partir de ces données par la suite.
Globalement chaque nouvelle fonctionnalité liée à l’IA doit se soumettre à la réflexion du bénéfice/risque. Cela passe par une exploration éthique et transparente mais également par l’échange entre pairs. L’IA ne représente pas notre avantage concurrentiel en tant que formateur. Ce sont nos connaissances, notre congruence et notre passion qui font la différence sur le terrain. L’IA peut venir en soutien à notre expertise mais à ce jour, elle ne la créera ou remplacera pas.