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De la créativité… humaine

Nous caressons tous le joli fantasme selon lequel la création artistique est la conséquence d’un don attribué à la naissance et de fulgurances qui en sont l’expression. Il y a les artistes, et le reste du monde.

par Sandrine Decorde

100%  humain

par Sandrine Decorde

Fondatrice de ARTCARE, consultante, conférencière, formatrice



Passionnée par la création artistique depuis l’âge de raison, Sandrine Decorde collectionne dès lors les œuvres autant que les biographies d’artistes. Elle est mère de deux prototypes qui ne passeront jamais au stade de l’industrialisation.
Après avoir travaillé à la transformation numérique de grands groupes dans les industries créatives, elle fonde et dirige Artcare, un studio hybride alliant l’art et les technologies pour imaginer le monde de demain.

Certains artistes se voient comme des vecteurs portant ce don divin, dont ils ne sont pas seulement les porteurs mais plutôt les passeurs. La dette est donc grande et ils se doivent de restituer au monde une contrepartie sans fin.
D’autres racontent la difficulté du travail, celle de se remettre à l’ouvrage, l'acharnement dans l’apprentissage des techniques, la connaissance du passé, du présent, du travail des anciens, de leurs contemporains, de leurs amis, de leurs ennemis, de l’histoire de leur art et des méandres de leur introspection.
Et dans tout cela, l’arrivée de l’intelligence artificielle générative, à faible coût et accessible à tous ceux qui disposent d’un ordinateur connecté, laisse à penser à tout un chacun que l’on peut devenir artiste, ou du moins créatif. Comme la prédiction réalisée d’Andy Warhol avec notre quart d'heure de célébrité, la promesse de l’IA générative créative est celle de notre quart d’heure créatif.
Jusqu’à présent et à peu près dans toute l’histoire de l’humanité, pour passer de l’idée à l'œuvre, l’artiste dédie sa vie entière au travail, à l’itération jusqu’à la perfection de l'œuvre, utopie inatteignable. Un intermédiaire accompagne alors cette maïeutique permettant à l'artiste d’en finir avec la création : éditeur, producteur, galeriste, critique, curateur, diffuseur,… pour arriver jusqu’à la destination finale : le public.
Le processus artistique, extrêmement complexe et peu étudié, s’articule toujours entre le choix d’une idée, parmi de nombreuses, et le processus permettant d’accoucher d'une œuvre finie, en passant par bien des circonvolutions humaines. Ce processus prend sa source dans la connaissance, l’apprentissage, la répétition mais aussi dans les facteurs environ-nementaux et psychologiques. La vue de Van Gogh était affectée par ses dépressions et son hyper-anxiété probablement autant que par le saturnisme, conséquence de la peinture au plomb qu’il absorbait. Son corps et ses sens troublés ont eu un impact majeur sur son œuvre.

Les IA génératives n’ont ni corps, ni sens, ni émotions.

Les IA génératives créatives sont des outils technologiques incroyablement puissants pour celui qui a su développer sa connaissance, ses compétences, son goût dans son domaine privilégié d’expression, maîtrisant au préalable les techniques et conventions artistiques.

Une IA générative est-elle curieuse, influencée, attentive ou ne peut-elle se nourrir que de ce qu’on lui choisit ? Une IA générative peut-elle être divergente ? Un élément clé de la créativité est bien cette capacité de l’esprit à générer une pensée divergente, génératrice d'idées originales, qui implique souvent de remettre en question le statu quo et l’état de la création.
Une IA générative peut-elle imaginer de nouveaux concepts essentiels à l’expression artistique ? Une IA générative peut-elle sauter d’une idée à l’autre en toute sérendipité ?
Une IA générative peut-elle être dotée de la motivation intrinsèque, de la passion, de l’élan déraisonné suffisants pour développer, affiner, polir une idée créative jusqu’à ce qu’elle atteigne son plein potentiel, jugé par l’esprit de l’intelligence humaine ?
Non, car elle répond à une commande (un prompt), et aussi tordu et torturé que soit l’auteur du prompt et par là même le prompt, elle utilisera une base de connaissance “finie”, un corpus figé à l’opposé du cerveau humain aux circonvolutions infinies dont nul n’a encore décodé le procédé.
À ce stade, je ne pense pas que l’intelligence artificielle permettra de procéder à l’acte de création, malgré ses immenses capacités à analyser le passé, à se focaliser sur un sujet et à creuser son corpus en faisant des connexions statistiques permettant la génération de ce qui succède. Cette génération ne sera jamais que calculatoire, destinée à prédire les prochaines images et mots à partir de l’existant que l'on souhaite bien sélectionner et lui transmettre.



 

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